Saturday 26 March 2011

Le miracle de l'immigration n'aura pas lieu


Les chercheurs Benoît Dubreuil et Guillaume Marois remettent en doute l'impact des nouveaux arrivants sur l'économie du Québec

Robert Dutrisac   26 février 2011
http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/317698/le-miracle-de-l-immigration-n-aura-pas-lieu
En avril, des immigrants montréalais manifestaient contre l’abolition de classes de francisation. Selon le livre Le Remède imaginaire, écrit par deux chercheurs Québécois, sur le strict plan économique, le Québec n’a pas besoin de plus de nouveaux arrivants.<br />
Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir
En avril, des immigrants montréalais manifestaient contre l’abolition de classes de francisation. Selon le livre Le Remède imaginaire, écrit par deux chercheurs Québécois, sur le strict plan économique, le Québec n’a pas besoin de plus de nouveaux arrivants.
Québec — Une idée fait consensus au Québec: l'immigration peut atténuer les effets du vieillissement de la population sur les finances publiques. Or cette proposition, qu'aucun politicien ou éditorialiste au Québec ne conteste, est une idée fausse, vigoureusement démentie par les travaux des scientifiques. L'idée que l'arrivée d'immigrants peut résorber les pénuries de main-d'œuvre est tout aussi bancale. Sur le strict plan économique, le Québec n'a pas besoin de plus d'immigrants.

C'est la thèse iconoclaste que défendent Benoît Dubreuil, chercheur postdoctoral en philosophie de l'UQAM, et Guillaume Marois, démographe doctorant à l'Institut national de recherche scientifique (INRS), dans un ouvrage qui paraîtra mardi et intitulé Le Remède imaginaire - Pourquoi l'immigration ne sauvera pas le Québec.

À l'automne 2007, Benoît Dubreuil fut frappé par la consultation publique sur la politique d'immigration du Québec menée par la ministre l'Immigration et des Communautés culturelles, Yolande James. «Il y avait un décalage entre ce que les gens disaient et ce que nous, on lisait dans la littérature», raconte-t-il. Deux points communs ressortaient des 70 mémoires reçus: d'une part, le Québec devait investir fortement dans l'intégration des immigrants et, d'autre part — c'est le lieu commun qui l'intéressait —, le Québec vieillit et il a besoin d'un grand nombre d'immigrants pour faire face aux pénuries de main-d'oeuvre. C'est à la suite de cette consultation que le gouvernement Charest haussa de 43 000 à 55 000 par an le seuil d'admission des immigrants pour 2008-2010.

Il est vrai que les nouveaux arrivants peuvent rajeunir la population puisque leur âge moyen est inférieur à la moyenne. Mais l'effet est marginal, calculent les démographes. En passant de 43 000 à 60 000 immigrants, par exemple, selon les calculs des démographes du ministère en 2008, on ne retrancherait en 2030 que deux personnes âgées par 100 habitants (44 plutôt que 46 par 100), un effet négligeable.

En 2008, Jean Charest répétait que d'ici 2011, c'est 700 000 emplois au Québec qui devront être comblés en raison des départs à la retraite des baby-boomers, rappellent les auteurs. Or, penser que les immigrants vont occuper ces postes est simpliste, soulignent les auteurs. Le problème, c'est que le marché du travail est complexe; rien n'indique qu'un départ à la retraite va mener à de nouvelles embauches. Impossible de savoir combien de ces 700 000 emplois ont été comblés par des immigrants.

La réalité, c'est que l'écart entre les taux de chômage qui touchent les immigrants et les natifs s'est élargi depuis les années 1980. À cet égard, le Québec fait moins bien que le reste du Canada. Même chose pour les salaires. Et la situation s'est dégradée depuis 30 ans. En 2005, les immigrants récents avaient un revenu inférieur de 20 % à celui des immigrants récents en 1980. De plus, les immigrants au Québec paient en moyenne 61 % des impôts payés par les natifs.

Un effet nul sur le PIB


L'immigration fait accroître la population, cela va de soi, et, conséquemment, le produit intérieur brut (PIB). Mais les études convergent: l'effet de l'immigration est nul sur la croissance du PIB par habitant, celui qui compte, signalent les auteurs. Tout porte à croire que sur le plan des finances publiques, l'immigration a un «effet modestement négatif», avance Benoît Dubreuil.

Dans les démocraties libérales, l'immigration est un phénomène normal, mais «l'augmentation de l'immigration ne saurait être une finalité en soi», écrivent-ils.

«Il faut s'attendre au Québec d'avoir des populations assez nombreuses qui, de manière durable, vont avoir des difficultés d'intégration en emploi», croit Benoît Dubreuil. Et accueillir au Québec plus de 50 000 immigrants en période de récession peut engendrer bien des désillusions. «Ils vont en porter les stigmates pendant plusieurs années. Les inégalités, les insuccès, c'est quelque chose qui nourrit la rancoeur. Évidemment, ça peut nuire à la cohésion sociale», prévient le philosophe.

Pourquoi cette idée que l'immigration pourrait sauver le Québec s'est-elle imposée? «Le premier facteur, c'est que l'idée à la base est quand même séduisante et intuitive: les immigrants sont plus jeunes, donc ils vont faire rajeunir la population si on en a beaucoup. En plus de ça, c'est que le Québec a toujours été un pays d'immigration.»

Il y a aussi une question de «rectitude politique», croit-il. «Les chercheurs n'ont pas tendance à intervenir dans le débat. C'est un sujet sensible».

C'est sans doute cette rectitude politique qui a entraîné «l'adhésion du Parti québécois au mythe de l'immigration miracle», soulignent les auteurs. Pour le Parti libéral, la perspective est tout autre. «Malgré la francisation relative de l'immigration, l'appui au Parti libéral du Québec demeure proportionnellement plus fort chez les immigrants que chez les natifs. Le gouvernement a donc un intérêt objectif à faire diminuer la part relative des natifs dans la population», jugent Benoît Dubreuil et Guillaume Marois

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